(graphique : ETF Amundi S&P Global Luxury)
Comment faisait-on il y a 20 ans quand le consommateur chinois était un consommateur marginal dans le luxe ? On suivait les tendances au Japon, les fusions en Europe, et on se concentrait sur la haute-couture, symbole du luxe, quand les autres marques (montres, maroquinerie, bijoux) restaient cantonnées à leur statut d’artisans, qui parvenaient, parfois, à exporter. Ni plus, ni moins. Aujourd’hui le poids du consommateur chinois (35% des ventes mondiales en 2019, plutôt 40% en 2020) a déplacé le centre de l’analyse une fois de plus vers l’Asie, renforcé par les fermetures intermittentes de magasins en Europe et aux USA ces 12 derniers mois. Mais le dynamisme se diffuse sur toutes les régions et le luxe qui appartient à un de nos thèmes megatrends dispose d’une force boursière relative forte aussi bien à moyen qu’à court terme. Tout est tellement parfait que cela en devient presque gênant mais les signaux sont là : Le secteur reste un de nos secteurs favoris.
1) Le secteur a connu des BPA au T1 en forte hausse par rapport aux attentes et par rapport au T1 2020 (les BPA ont été révisés de 7% en moyenne pour 2021 et 2022 depuis 3 mois avec 58% des sociétés révisées à la hausse et 18% sociétés à la baisse, sources Factset).
2) Les craintes étaient massives à la fin du S1 2020 considérant la dépendance aux dépenses faites par les touristes (40% des ventes en 2019 environ), une faible exposition aux ventes en ligne (7% des ventes en 2019), et sa sensibilité à la hausse de la consommation discrétionnaire.
3) Mais le consommateur chinois (environ 35% des ventes mondiales en 2019, 70% de la croissance du marché attendu pour les 5 prochaines années selon BCG) a su faire fi de cette conjoncture pour consommer localement, dans les magasins situés en Chine ou en ligne. De 50%/50% consommé localement / en qualité de touriste, la part est passée de 90%/10% au T1 2021.
4) Le prix moyen en Chine étant plus élevé de 25% à 50% que sur les autres marchés, le basculement vers une consommation locale a compensé les pertes de volumes (en unités vendues).
5) Les consommateurs US et européens n’ont pas disparu, avec un T4 2020 qui a été en hausse yoy. Le soutien à la consommation engagé par les Etats, ajouté à un phénomène de rattrapage après les fermetures du T2 2020 ont fait que le climat de confiance du consommateur est reparti proche des plus hauts.
6) La consommation du luxe a évolué en 2020 : moins de dépenses en voyages, restaurants, vins fins et sorties ont libéré des liquidités vers des dépenses en produits durables.
7) Le soft luxury (bijoux fantaisie, prêt à porter), à la frontière et du hard luxury (au-dessus) et du textile de marque (en-dessous) a profité des périodes de confinement pour rebasculer son offre vers des ventes en ligne, allégeant sa structure de coût et ajustant ses dépenses marketing.
8) Des marchés émergents se sont affirmés plus résistants que ce que l’on pouvait craindre en 2020 : La Russie ou le Moyen-Orient ont réussi à rapatrier sur leurs zones les dépenses habituellement effectuées en qualité de touriste à l’étranger.
9) Les difficultés de logistique, d’approvisionnement de certaines matières premières ou arrêt des unités de production (par exemple en France au T2 2020) ont permis de gérer l’afflux de produits, limitant les risques d’excès d’offre et donc de soldes. La politique prix n’a donc pas conduit à une quelconque déflation, bien au contraire avec comme cité la hausse des ventes en Chine.
Le marché du luxe devient de plus en plus polarisé autour d’un côté la maroquinerie et la bijouterie, de l’autre le prêt à porter, la chaussure, la haute-couture, l’horlogerie, qui subissent davantage les chocs avec ajustement plus drastiques de stocks à partir de politiques de promotion / ventes en outlet / croissance du nombre de point de vente. Ceci les conduit à avoir des publications trimestrielles beaucoup plus volatiles et des marges davantage sous pression. En outre le secteur privilégie de plus en plus les ventes directes (par l’intermédiaire de son propre réseau de magasins) plutôt que par grossistes, réduisant la cyclicité des commandes, et offrant une meilleure visibilité sur les ventes au consommateur final (il est toujours délicat de connaitre le niveau de stock des grossistes et leur propension à pratiquer le cas échéant des soldes). La crise de l’immobilier commercial en 2020 leur a permis de réinvestir dans certains localisations tout en investissant dans les ventes en digital (notamment au travers des places de marché). Un point commun en revanche, la baisse des charges (salons, publicité, défilés) qui a donné un coup de boost supplémentaire aux marges en 2020.
La valorisation de l’actif immatériel qu’est la marque a profité comme pour les valeurs tech d’une hausse alimentée par la politique de taux bas et d’assouplissement quantitatif en 2020. La remontée des taux et le retour des thématiques cycliques a pesé quelque peu sur le secteur du luxe au T1 2021 mais les publications trimestrielles ont confirmé que la demande restait toujours aussi forte. En plus de son caractère d’actif à duration longue, le secteur a montré qu’il gardait un fort caractère cyclique, profitant du rebond de la consommation à la faveur des réouvertures des marchés aux USA et au Moyen-Orient. La montée en gamme du consommateur notamment chinois et US s’illustre dans le tableau ci-dessous avec des marques outdoor ou textiles qui marquent le pas, quand la catégorie des bijoux, montres et maroquinerie (hard luxury) ne faiblit pas. La marque s’impose dans des catégories où elle était relativement absente (bijouterie) que ce soit dans le milieu de gamme (Pandora) ou dans le développement de marques présentes jusqu’alors uniquement dans la haute-couture ou la maroquinerie. La bijouterie est portée en outre par la hausse des métaux précieux tels que l’or et le platine qui lui donne un caractère investissement et non pas seulement consommation. Enfin le marché secondaire s’organise avec le développement des sites de vente de produits d’occasion ou des ventes aux enchères. Dernier point le M&A n’a pas disparu : Le rachat de Tiffany par LVMH a relancé les spéculations, que ce soit concernant Richemont (approché par Kering en début d’année) ou Tod’s.
Le bémol demeure les valorisations après un quasi doublement des cours sur un an pour les leaders (+93% pour LVMH, +71% pour Hermès, +82% pour Kering) et +75% pour le secteur dans son ensemble quand les BPA n’ont été révisés que de 15% pour 2021 à la hausse et 20% pour 2022. Après la forte compression des multiples que nous avons connu en mars/avril 2020, l’expansion que nous constatons depuis, conduit les PE 2021 en prime de 50% sur les multiples historiques (34x vs 21x depuis 2010) mais un retour à la normal est attendu pour 2022 et 2023 (28 et 25x, ce dernier chiffre en ligne avec les chiffres de 2018/2019). Autre point à surveiller et potentiellement négatif pour le secteur, le dollar. Si 2020 a été relativement bénin sur le front des devises, 2021 pourrait être beaucoup moins porteur si le dollar vs l’euro continuait à glisser.
Le système Phi-Advisor reste favorablement exposé au secteur luxe, avec des signaux megatrends, stratégiques et tactiques qui sont tous positivement orientés. Ici ou là des titres marquent le pas, mais notons que ce sont les dossiers les plus à la périphérie du cœur luxe qui souffrent tels les marques d’athlé-leisure (Nike, Puma, VF Corp, China Lilang, Goldwin). La sensibilité au marché chinois reste une épée de Damoclès évidente mais qui devient de moins en moins forte au fur et à mesure que la consommation du luxe en Chine devient un phénomène de société et non plus seulement l’apanage d’une classe d’ultra-riches. L’épisode 2013/2015 avec la chute de consommation en lien avec les campagnes anti-corruption semble bien loin. Dans la mesure où nous arrivons en fin de période de rattrapage de l’excès de consolidation de 2020, ce sont les dossiers les plus en retard, les plus cycliques qui semblent pour l’instant le mieux orienté pour les mois qui viennent. Le tableau ci-dessous confirme cette tendance.
a. Acheter (en vert *) les titres Enter long, à 95% ou 100% à court terme en relatif marché ET dont le relatif secteur court terme est supérieur au relatif secteur long terme. Nous sélectionnons des titres qui n’étaient pas automatiquement forts l’année dernière mais qui profitent du rebond de la consommation en ce début d’année : Citons Pandora, Kering, Swatch Group.
b. Être prêt à revenir sur les titres (en brun *) qui ne sont pas obligatoirement en Enter Long mais dont le relatif market court est supérieur au relatif market long terme et dont les signaux tactiques sont à l’achat. Les titres se renforcent par rapport à leur momentum historique : Hugo Boss, Xtep.
c. En parallèle, alléger (en bleu *) les dossiers faibles en relatif marché et secteur à court terme, qui plus est dont les signaux tactiques sont en Enter short ou Exit Long. Ce sont les titres du bas de la liste avec China Lilang, Goldwin, Ferrari, Nike.
d. Ou alors alléger (en rouge *) aussi les dossiers en Exit Long qui étaient historiquement forts mais en perte de momentum aussi bien en relatif marché QUE relatif secteur, citons Adidas.
En conclusion, le modèle Phi-Advisor reste surpondéré sur le secteur du luxe, demeurant exposé sur les leader du secteur mais préférant renforcer pour les mois qui viennent les dossiers en retard, plus cycliques et de « moins bonne qualité ».
(*) Les données détaillées sont disponibles dans l'application Phi-A, pour les Abonnés.